31 Mag Les lacunes de la sécurité industrielle en France
J’ai eu l’occasion de travailler, il y a quelques années, dans la sécurité industrielle sur un site chimique classé SEVESO II seuil haut. Après avoir longuement hésité en raison du caractère “brulant” de ce dossier, je décide finalement de partager cette expérience.
Contexte :
Tous les 5 ans depuis 2003, l’administration française chargée de superviser la securisation industrielle (DREAL) demande une mise à jour du dossier évaluant les risques liés à l’exploitation des sites industriels (PPRT : Plan de prévention des risques technologiques). Sur le papier, ce dossier doit permettre d’identifier les risques pour mieux les maitriser. Implicitement, elle intervient en raison d
u vieillissement important du parc industriel français et au manque de budget alloué à la maintenance et à l’entretien de ces sites.
L’étude doit permettre d’estimer les périmètres de dangers (Voir : Carte des aléas confondus) autour des usines (nuages toxiques, explosions, surpressions etc…) en fonction de scénarios définis à l’avance. On dit “définis à l’avance” pour ne pas dire “négociés” entre l’administration et les industries. En effet, le but n’est pas de fermer les usines… Vous me suivez ?
Ces scénarios ne tiennent pour l’instant pas compte des autres usines à proximité (effet domino), ne relient pas les scénarios entre eux au sein d’une même usine (exemple : Un réservoir explose à coté d’un second, le second n’explose pas…) et sont définis à l’avance pour ne pas “trop” pénaliser l’exploitation. En bref, il s’agit surtout de “dire qu’on fait”.
La tâche qui m’avait été confiée était de modéliser ces scénarios en utilisant un logiciel édité par la société américaine DNV et nommé PHAST. Ce logiciel permet de simuler sur ordinateur des scénarios de dispersion toxiques, explosifs, de feu, de surpression etc… Il prend en compte l’environnement direct (installation, bâtiments…), le climat (Température, vent), les produits chimiques engagés (Chlore, solvants, acides…), leurs quantités et leurs propriétés physiques (température, pression, toxicité, limites explosibilités…).
D’habitude, ces calculs (2500€/calcul) sont réalisés par des sociétés de conseil extérieures (sous traitance), et ce pour ne pas engager la responsabilité de l’industrie concernée.
Cette mission m’a été confiée (sous contrat de stage…) pour économiser le précieux budget de mon employeur (crise économique oblige).
Quatre ans plus tôt, une carte des aléas avait déjà été établie par cette compagnie et lui avait alors demandé des investissements conséquents (en raison de risques élevés et de distances d’effets sortants déjà à l’époque du périmètre de l’usine…).
Avançant dans mon étude, je remarquais rapidement que les scénarios “négociés” entre l’administration française et cet exploitant minimisaient largement les risques (au moins par un facteur 4). Sans compter la non prise en compte des effets dominos… En avisant mon responsable, je constatais que celui-ci était parfaitement au courant.
Voila le discours qu’on me servit : “Les résultats des simulations que tu va faire ne DOIVENT PAS sortir des périmètres déjà établis”. En effet, traversant une période économique difficile, mon employeur ne pouvait se permettre de nouveaux investissements… Le jeu de “jonglage” avec le logiciel commençait, mettant par la même occasion mon éthique de jeune ingénieur au placard.
NOTE : J’ai profité de l’accès à ce logiciel pour “simuler” le scénario AZF (nitrate d’ammonium). Les résultats obtenus étaient plus faibles que la réalité. (En plus d’utiliser des modèles minorants les risques, le logiciel lui-même était minorant)
Voila les points “chauds” que j’ai retenu de cette expérience :
– Certaines usines ne sont pas soumises au PPRT car elles fermeraient directement, même en utilisant des modèles de calculs “négociés” (C’est le cas des raffineries de TOTAL, qui, au passage, ne payent pas non plus la taxe carbone…). Cela ne signifiant pas que ces usines ne font pas ces études pour leur usage interne…
– Un dossier PPRT rendu par une usine est par nature (et c’est voulu) fait pour être énorme (soi-disant très complet) et donc illisible. Les informations étant noyées dans une masse d’explications, tant concernant les risques chimiques et technologiques que les études environnementales.
– L’objectif est essentiellement de “dire qu’on fait” et de rassurer les populations locales, tout en continuant d’exploiter des usines vieillissantes.
– En ne prenant pas en compte les effets dominos (explosions entrainant d’autres explosions, nuages toxiques tuant les ouvriers et empêchant d’intervenir physiquement etc…), ces études sous estiment largement les risques.
– L’usine en question avait été rachetée par un énorme groupe chimique chinois, qui était (lorsque je travaillais sur place), en train de “copier” l’usine en Chine (toute neuve et 2 fois plus grosse). Effectivement, cette usine est condamnée à fermer.
CONCLUSION :
J’ai compris énormément de choses lors de cette mission. Cela m’a appris la méthodologie et le raisonnement à utiliser pour décrire un scénario. Méthodologie que j’ai appliqué sur ce blog.
Ayant également travaillé en Chine, j’en ai tiré des conclusions et fait des rapprochements. Effectivement, je ne suis pas quelqu’un qui se laisse influencer, je cherche à me poser les bonnes questions, car je sais pertinemment qu’on ne nous dira jamais la vérité (on ne peut pas se le permettre, et ce de moins en moins au vu du contexte économique), une attitude extremement dangereuse à moyen terme. (Exemples : parc nucléaire vieillissant, pic pétrolier, gaz de schiste et sables bitumineux etc…)